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Aux fils de Lau
23 janvier 2011

Toute une histoire

Parfois, j'achète les livres comme on se gave de bonbons. Avec l'impression de mourir de faim, d'avoir à se remplir... Les barrières sautent avec une inconcevable facilité, les limites sont loin. Lâchage.

Lorsque j'ai acheté Toute une Histoire de Hanan el-Cheikh, je l'ai fait sur une impulsion, et au milieu des autres ouvrages embarqués ce jour là. J'avais été tentée par la couleur sépia de la photo de couverture, par la promesse de suivre une femme "rusée, truculente et enjouée", dans le sud Liban des années 30 à aujourd'hui. C'était une fresque familiale, un personnage haut en couleurs. Il ne m'en avait pas fallu plus.

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Et puis j'ai eu le doute. Mis en attente parce que d'autres volumes avaient eu la priorité, celui-là a été laissé de côté. Et lorsque je l'ai repris, je n'ai plus su si je voulais le lire... J'ai soudain redouté le document engagé, ou l'ennui que me cause -à ma grande honte- l'analyse au scalpel qu'une femme d'aujourd'hui peut faire de la situation de ses ancêtres et de l'évolution de sa société, surtout si celle-ci est loin de la mienne. Je redoutais de rester étrangère au propos. Et puis quoi ? Cette héroïne "bravant tous les usages, tente d'obtenir le divorce, au risque d'être séparée de ses filles"... J'ai eu peur de ne pas adhérer, rétive que je suis à l'admiration obligatoire et à la compassion nécessaire.

Et puis j'ai lu.

D'abord s'ouvre l'histoire un peu décousue d'une petite fille, misérable à un point qui dépasse l'imagination, élevée dehors, aimée dans le désordre, fille de parents séparés dans un monde sans loi clairement identifiable, une petite fille  nourrie de l'herbes des champs moissonnés, et qui regarde son univers avec curiosité, intérêt et sans morale, portée par l'impulsion du moment et la conscience de son intérêt.

Et défile la cohorte des femmes qui gémissent, se plaignent, dans un monde où c'est parfois le seul moyen d'obtenir son dû, mais qui portent aussi l'humour et l'espoir en  guise de parure et de sauvegarde. La petite fille quitte le village, arrive en ville dans la famille innombrable qui va peupler l'appartement-village...

Et là, Kamleh -dont le nom est si peu prononcé qu'on l'ignorerait presque- énerve. Elle veut tout, ment, se défend, regarde et veut comprendre... Aux antipodes de la petite fille attendrissante et dévouée des romans, elle est parfois insupportable à force de réclamer des sucreries, de geindre devant les vitrines. Il faut des pages pour saisir que ce sont là les premières manifestations de cette force vitale qui va faire de Kamleh tout sauf la victime de son mariage forcé, raconté avec une distance ironique en même temps qu'avec la précision naïve des enfants...

Kamleh grandit, devient mère à 15 ans sans jamais perdre de vue ce qu'elle veut, sans jamais faiblir, apprenant la vie au cinéma, dans les chansons, convertissant sa faiblesse en liberté par la force de l'humour, et grace à l'énergie vitale qui ne la quitte pas. Dans un monde où on croit les femmes soumises apparaissent les failles de la maison, dont elles connaissent les secrets, dont elles tirent parti, à la barbe d'homme ficelés de principes.

Et puis vient l'amour, et on suit Kamleh - dont le prénom apparait de plus en plus souvent- chez Mohammed. On perd la tête avec elle, de la peur de voir découvert cet amour clandestin, le seul auquel elle ait eu droit. On sent refluer le besoin de rejoindre l'aimé malgré le risque, avec cette inconscience qui est l'énergie, la poussée vitale, qui ne connait pas le doute. C'est la puissance de la vie, l'impulsion du sang que restitue l'écriture de Hanan el-Cheikh qui redonne voix à sa mère Kamleh, une écriture simple, vive, cumulative... On passe d'une journée à l'autre, d'un épisode à l'autre, on suit un soupir, une crainte, un espoir. Rarement un regret, jamais une vraie lamentation.

Et vient la mort, et viennent les soucis -avec les cigarettes et les copines du quartier, les enfants et l'arbre en pot, comme un témoin - et on s'inquiète à demi, parce le nom Kamleh est partout, comme si la femme qui le portait avait fini par éclore.

C'est à une éclosion que nous convie Toute Une Histoire, dans le Liban d'avant la guerre, sur la poussière des chemins, dans l'obscurité des salles de cinéma de quartier. Et la fleur qui s'ouvre s'appelle Kamleh... et c'est une fleur étrange, complexe et exubérante, aux pétales rugueux et satinés à la fois, multiples et multicolores. Son parfum, difficile à décrire en si peu de mots est tenace et doux, comme les souvenirs d'enfance et les espoirs nourris dans la jeunesse. Il vous suivra longtemps.

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Commentaires
V
Je ne suis habituellement pas fan des résumés littéraires (soyons clair: je les zappe en général!)<br /> Mais là, tu m'as happée! Je sais que si je dois croiser ce livre, il sautera dans ma poche!<br /> Merci!
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M
je sens que je vais emprunter... moi, suis dans le club des incorrigibles optimistes (acthy l'a au CDI), j'adore.. d'autant plu qu'il y a bien 6 mois que je n'avais pas réussi à lire, et là, je plonge littéralement dedans.. au fait, tu ne m'as jamais dit l'accro du shopping? pas là, encore plus bas dans la pile? coquine va !!!!!!
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Aux fils de Lau
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