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Aux fils de Lau
17 septembre 2011

La pelicula que habito

Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu de film de Pedro Almodovar. Pedro, je l'avais découvert en amuseur emblématique de la movida, dans les années 80-90, avec des films dont le principal mérite était de faire bouger les mentalités... enfin, d'essayer.

Puis le bonhomme a changé, soigné son style pour nous habituer à ses à-plats de couleurs, en très gros plan, à ses décors soignés, à ses actrices aux grands yeux... Et je suis entrée avec délectation dans son univers de travestis malgré eux, d'individus en recherche d'identité, d'intrigues cousues et limpides à la fois. J'ai fredonné les BO élégantes. Puis j'ai laché... les transexuels, les religieuses enceintes, la psychologie envahissant tout l'espace m'avaient lassée. Il n'y a rien de pire que les enfants surdoués qui montent en graine et se prennent au jeu de leur propre génie, bref, qui se prennent au sérieux. Catégorique et expéditive, c'est ainsi que je jugeais le cinéaste, et je m'en tenais là, jusqu'à La Piel que habito (foutu clavier qui m'interdit les accents espagnols...), que je suis allée voir bien tard, au risque de le louper alors que le film avait été annoncé, célébré par la critique...

Je serais bien en peine de dire ce que c'est qui m'a tentée...

(Capture d'écran fenetressurcour.blogspot.com)

quel résumé (forcément impuissant à rendre le contenu du film) a pu retenir mon attention... Mais j'y suis allée. Et je n'en suis pas revenue.

Pour synthétiser (déformation professionnelle oblige) Pedro Almodovar a franchi un cap, il a comme qui dirait basculé de la psychologie, directement dans la mythologie.

Certes, on reste en terrain connu : la question de l'identité, de l'identité sexuelle entre autres reste centrale, le motif de la séquestration, de la possession de l'autre, structure les espaces. Le lien des mères à leurs fils est toujours aussi problématique, mais le film ne se contente pas de raconter une histoire, de nouer une intrigue habile. On pense aussi, thème de la séquestration et présence d'Antonio Banderas obligent, à Ata me, mais c'est pour mesurer le chemin parcouru depuis ce gentil divertissement...

Almodovar a puisé (volontairement ?) dans le fond universel de la tragédie. C'est la malédiction de Phèdre qui frappe les femmes, Gal et sa fille, à partir de la transgression, le choix de suivre le monstre. Pas un minotaure, cette fois, mais un fauve grotesque qui grogne, se frotte, lèche l'image de ce qu'il désire... Et toute la question du choix de la nature, aléatoire, trompeuse, décevante, est posée, comme se trouve mise en question la tentation de la remplacer par l'artifice, parfait, réfléchi, fiable dans son imperfection même. Ce choix, c'est celui opéré par le chirurgien dont la maison, toute minérale, ne tolère de nature que deux bonsaïs que leur propriétaire cercle de métal pour contraindre leur forme.

On a parlé, au sujet du film, de Frankenstein, d'un personnage mythique cherchant à recréer la femme aimée disparue... Le film est bien au delà... D'abord parce que le docteur, joué par Antonio Banderas -parfait-, ne refabrique pas cette épouse décevante et punie qu'il retaillera comme il aurait fallu qu'elle soit : immortelle, certes mais aussi toute à lui et impénétrable. Il se venge. De quelqu'un d'autre... mais il dérape, et le souvenir de l'épouse perdue, fautive et imparfaite rejoint l'autre, en une improbable combinaison qui défie l'entendement.

Oui, il est question de chirurgie (oui, on voit un peu de sang... pas de quoi fouetter un chat, cela dit !), de refabriquer un être, mais l'abîme du film n'est pas là : nous sommes accoutumés depuis des lustres, dans le cinéma et la littérature, à accepter l'idée de la prouesse scientifique. La convention littéraire ou cinématographique nous amène à admettre que l'on peut fabriquer un individu, lui donner telle ou telle forme, le ressusciter, même. Puisqu'on nous le raconte. Dans La Piel, l'enjeu est ailleurs, dissimulé dans ce "point aveugle" du film qui nous dérobe l'essentiel grace au double flash-back qui structure le récit (et rend le résumé impossible !!!) : comment Véra peut-elle être devenue cette femme qui désire son pygmalion, comment  ce désir physique est-il possible ? A quel moment de la transformation du personnage, cette mutation là, qui engage l'intériorité, l'identité profonde, s'est-elle produite ? C'est cette question là qui fait vibrer et miroiter le film, qui en est le mystère et nous y aspire irrésistiblement, comme nous capte l'oeil rond, terrifié et sans fond d'Elena Anaya.

Pourquoi voir le film ?

Et il y a des réponses, esquissés auparavant... Le personnage qu'était Véra, avant d'être Véra, évoluait déjà dans un univers de robes fleuries, d'artifice... univers dans lequel cette personne semblait ne pas bien se connaître, dans lequel elle se cherchait, de prise de drogue en échec amoureux... Déjà, on la voyait coudre un buste décoratif, sans arriver à le finir, revêtir un mannequin d'un robe. Et si l'enlèvement, l'opération comprise comme une punition, étaient une révélation, une naissance terrible, au terme de cette gestation merveilleusement esthétisée qu'est la représentation de la séquestration dans la cave ?

C'est toute la question de notre identité qui est posée, et de notre rapport à l'autre et à son impossible possession... Autant dire qu'on ne va pas voir La Piel que Habito pour se détendre, se changer les idées ou pour passer un bon moment (que l'on passe quand même, d'ailleurs !!!). On doit y aller en se préparant à un choc intérieur, dont la vibration, la résonnace, va perdurer, nous habiter durablement, et pour le meilleur. Cela dit, n'est-ce pas ce que l'on attend de l'art ?

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Commentaires
T
j'ai trouvé ce film absolument magnifique! les images, la narration, la lumière et les acteurs. j'aime bcp ta critique sauf que je ne pense pas que le désir de Véra soit réel mais seulement un instrument pour pour pouvoir reprendre le pouvoir.
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M
Alors là ! je suis baba ! je l'ai vu ce film, il m'a empéchée de dormir, presque autant que NIKITA ! mais je ne me doutais pas que c'était aussi grave my god ! je crois que je vais foncer voir la guerre des boutons, c'est plus de mon niveau quoique on peut aussi être traumatisée hein c'est vrai !
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C
J'ai lu "Mygale" de Thierry Jonquet, roman perturbant d'où a été tiré la Piel que habito , et du coup j'hésite à aller voir ce film, peur d'être déçue....<br /> En tout cas, je te conseille vivement le livre !!
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