Accommoder les restes
Toute maîtresse de maison digne de ce nom excelle dans l'art de ne rien gaspiller et de sublimer dans des recettes astucieuses les restes de la veille. Aujourd'hui, nous pourrions parler de customisation culinaire ! Il s'agit de faire une sauce avec la viande du roti pas fini, de mouler de jolies croquettes en purée, de faire sauter en beignets sucrés le riz blanc qui n'a pas été achevé. Tout ceci se perd, chez moi aussi d'ailleurs. Ma génération qui n'a manqué de rien et placé son orgueil ailleurs que dans cette gestion rigoureuse et néanmoins souriante a abandonné ces pratiques d'économie domestique.
En revanche, parce qu'un bout de laine, un reste de pelote, traine toujours dans un coin comme un reproche muet, il y a parfois de ces souvenirs familiaux qui resurgissent et me mettent en mouvement.
J'avais dans mon placard-à-tout (une horreur dans laquelle toute incursion prend la tournure d'une expédition de spéléo...) un fond de pelote de laine rouge de la Droguerie, un mélange Alpaga-Plumette, je crois, vestige de mon gilet à rangs raccourcis. J'étais, depuis longtemps décidée à ne pas laisser perdre une matière aussi jolie (et aussi onéreuse), et j'avais assez récemment remis mon nez dans les free patterns de Ravelry (j'y fais une incursion, en forme de crise violente, à peu près tous les trois mois avec à la clé téléchargements en chaine, impression au collège, en cachette, parfois même en couleur dans la salle 28. CHUUUUUUUT !!!) et retrouvé un modèle de châle au crochet déjà remarqué il y a longtemps mais pas encore réalisé : le Elise Shawl.
Je me suis donc lancée pour m'occuper les doigts en voiture, le crochet étant beaucoup plus facile à mettre en oeuvre dans ce genre de situation qu'un ouvrage aux aiguilles un peu complexe et nécessitant l'usage d'un diagramme d'un mètre sur deux (j'exagère à peine...). Oui, j'ai un truc sur les aiguilles qui, après m'avoir motivée à la folie m'exaspère en proportion. Passons.
Je n'ai pas été déçue de ce côté là : le Elise shawl est un bonheur à réaliser, même si, petit bémol, il est le jumeau de la South Bay Shawlette dont je ne comptais pas créer de nouvel exemplaire... Seul Hic, je n'avais que très peu de laine rouge, et si le crochet, très ajouré, consomme peu, il faut quand même avoir un minimum de fil si l'on ne veut pas se cantonner à des créations pour Barbie. J'ai donc dû infléchir mon projet de châle rouge en laine naturelle et fouiller dans le vieux stock récupéré à Albi. Or, il restait dans un coin un reste de fil des années 80, le reliquat d'un gilet que m'avait tricoté ma mère en 1989, très beau, un peu dans l'esprit du Lady Marple. Ce gilet doit être quelque part dans un carton (ma mère garde tout), mais j'ai encore à l'esprit le souvenir de l'avoir mis avec un bonheur sans partage en prépa, avec des robes, des jeans, une jupe culotte... Le modèle était proposé par Phildar dans un lot appelé "Une pelote, un pull". La laine était de la "coup de phil". Le pull avait été en partie réalisé au Cap d'Agde, pendant l'été, dans le carré du bateau. Je nous y vois. Ma mère râlait à cause de cette grosse pelote unique qui l'avait emballée et qu'elle ne trouvait, au final, pas du tout pratique. Il faut dire qu'elle prenait le fil à l'extérieur de la pelote et pas au centre ce qui constituait une erreur stratégique majeure, dans cette circonstance là. Du coup, j'étais chargée de dévider le fil, et de suveiller les jetés et les mailles lorsqu'elle en arrivait au motif qui ornait chaque côté du gilet. Je partageais du coup la responsabilité de toutes les erreurs !
L'étiquette, chiffonnée, était encore au centre de la pelote.
Il n'y a que ma mère, pour garder les choses comme ça, et garantir le surgissement de témoins du passé improbables.
J'ai donc associé la laine noire à l'autre, avec un brin de contrariété quand même parce que le mélange de ces deux teintes est un peu "too much", plus Jeanne mas que Stendhal, et parce que j'avais rêvé d'un châle ROUGE.
Mais bon ! quand on décide d'être une ménagère économe, il faut s'y tenir et balayer d'un revers de la main les contrariétés superficielles. La réalisation de mon châle bicolore n'a pas été bien longue. Voulant éviter que la laine initialement choisie ne devienne une "pastille" au milieu de l'autre, je m'en suis tenue à un mini-châle tour de cou que je trouve assez mignon. j'ai donc évalué empiriquement la largeur du bandeau noir afin qu'il joue son rôle (garantir un tour de cou qui écarte tout risque de strangulation !) sans jouer la vedette. J'ai fini par le picot règlementaire.
Place aux photos.